Des chercheurs de l’Université de Queensland, en Australie, viennent de publier une étude fascinante qui met en évidence des propriétés aussi remarquables que mystérieuses des trous noirs ; ils peuvent notamment se retrouver dans un état de superposition quantique où ils présentent plusieurs masses différentes à la fois.
À première vue, cette phrase semble comporter une incohérence flagrante ; comment un objet unique peut-il présenter plusieurs valeurs différentes d’une même propriété physique ? Pour le comprendre, il faut s’aventurer dans le monde mystérieux de la physique quantique.
Cette discipline regorge de concepts assez compliqués à appréhender, car ils sont généralement abstraits et très peu intuitifs — même pour les spécialistes les plus éminents, à commencer par Einstein lui-même. Dans ses travaux sur l’intrication quantique — où deux particules sont reliées par un lien inextricable et indépendant de leur distance —, il décrivait ce phénomène comme une « effrayante action à distance ».
Du chat noir au trou noir
Les chercheurs australiens se sont penchés sur un autre phénomène tout aussi mystérieux, à savoir la superposition quantique. C’est un phénomène qui a généralement illustré par l’intermédiaire du fameux Chat de Schrödinger, imaginé par le physicien du même nom. Ce terme renvoie à une expérience de pensée un brin machiavélique à première vue, mais très évocatrice. Schrödinger a imaginé un chat hypothétique enfermé dans une boîte en présence d’un élément radioactif, qui a une certaine probabilité d’éjecter un atome à chaque instant.
Si un détecteur placé dans la boîte détecte ce phénomène aléatoire, il brise une fiole de poison qui tue l’animal ; dans le cas contraire, le dispositif ne se déclenche pas et le chat reste vivant. Mais avant d’avoir effectué la mesure, il est impossible d’en avoir le cœur net ; vulgairement, on dit donc qu’il est « à la fois mort et vivant » tant que la boîte reste fermée.
En réalité, les bases théoriques et mathématiques sont nettement plus compliquées que cette représentation simpliste ne le laisse entendre. Mais très sommairement, on considère que l’état final du système n’est déterminé qu’au moment où on réalise la mesure. En d’autres termes, le chat existe dans une superposition des états quantiques « mort » et « vivant » jusqu’à ce que la mesure (l’ouverture de la boîte) le fasse basculer d’un côté ou de l’autre de la barrière.
Ce postulat fait partie de ce qu’on appelle l’Interprétation de Copenhague, un courant de pensée qui tente de proposer une interprétation cohérente de ces phénomènes mystérieux. Elle sert aujourd’hui de référence dans cette discipline car elle fonctionne relativement bien, mais elle est loin d’être parfaite.
Les trous noirs présentent une superposition de masse
En imaginant cette expérience de pensée, Schrödinger cherchait surtout à mettre en évidence un paradoxe qui mine encore l’interprétation de Copenhague : le problème de la mesure. Il montre qu’il est parfois très difficile de faire le lien entre le monde tel qu’on l’observe et les prédictions de la mécanique quantique, car sa description repose sur un modèle non déterministe et probabiliste ; on parle de principe d’incertitude d’Heisenberg (voir ce très bon document de l’Université de Lorraine sur les paquets et fonctions d’ondes pour plus de détail).
Et grâce à des modélisations informatiques, les chercheurs australiens ont mis en évidence une nouvelle incohérence de ce type chez les trous noirs : ils présentent une superposition de masse. En d’autres termes, ils ont déterminé que les trous noirs pouvaient être « à la fois lourds et légers », un peu comme le chat de Schrödinger est « à la fois mort et vivant ».
« Imaginez une personne à la fois grande et large, mais aussi petite et maigre à la fois », explique Joshua Foo, doctorant en physique théorique et auteur principal de l’étude. « C’est une situation peu intuitive puisque nous sommes ancrés dans le monde de la physique traditionnelle, mais c’est une réalité en physique quantique ».
Ces résultats ont beaucoup surpris les chercheurs australiens. Car d’après, Magdalena Zych, la physicienne qui a coordonné ces travaux, ils sont parfaitement cohérents avec une hypothèse formulée par Jacob Bekenstein. Ce pionnier de la physique quantique a été le tout premier à suggérer que les trous noirs pourraient présenter une telle superposition de masse, et ces modélisations montrent que ce visionnaire a eu le nez creux.
Des pistes de recherche très prometteuses
Mais au bout du compte, ces travaux ont fait émerger plus de nouvelles questions que de réponses. Désormais, les chercheurs vont tenter de vérifier expérimentalement que toutes ces prédictions théoriques tiennent la route dans le monde réel. Et le cas échéant, il pourrait s’agir d’une piste de recherche exceptionnellement prometteuse pour les chercheurs en physique quantique.
En effet, les trous noirs restent particulièrement mystérieux pour les chercheurs, même après des décennies d’études acharnées. Il est tout à fait possible que certaines de leurs propriétés encore inexpliquées soient intimement liées à ces phénomènes de superposition. Le fait d’avoir réussi à mettre en évidence cette superposition de masse pourrait donc ouvrir la voie à une meilleure compréhension de la dynamique des trous noirs.
Et plus largement, ces derniers pourraient devenir de formidables laboratoires à ciel ouvert pour étudier ces mécanismes — et par extension, lever le mystère sur certains des secrets les mieux gardés de la physique quantique. « L’univers nous révèle qu’il y a toujours quelque chose de plus étrange, mystérieux et fascinant que ce à que la plupart d’entre nous s’attendaient », conclut Zych.
Texte de l’étude : Quantum Signatures of Black Hole Mass Superpositions
Article source : Une étude révèle les fascinantes propriétés quantiques des trous noirs
Publié sur Le Journal de Geek par Antoine Gautherie le 3 novembre 2022