Pourquoi le plan quantique est en panne

Malgré ses compétences en recherche fondamentale, la France creuse son retard dans les technologies quantiques. Le plan quantique annoncé en début d’année est en panne. Les grands groupes de télécom sont peu présents. La France risque de voir ses futurs systèmes de défense obsolètes dès leur sortie.

Un ordinateur quantique Pasqal.

La France pouvait se targuer d’être à l’heure à la femtoseconde près. En janvier dernier, le gouvernement annonçait un grand plan quantique, doté d’un budget de 1,3 milliard, avec des grands groupes, des start up, des centres de recherches. On allait montrer de quoi la France était capable en rassemblant sous une même bannière les acteurs du quantique. Le rapport parlementaire de Paula Forteza rappelait l’impérieuse nécessité de prendre des risques pour trouver une place dans la 3ème révolution quantique qui se déroule sous nos yeux. Elle recommandait la création d’un fonds d’investissement doté de 300 à 500 millions d’euros pour faire émerger une cinquantaine de startup quantiques. Le rapport avait été accueilli avec enthousiasme par la communauté industrielle et scientifique.

Macron reporte son intervention

Mais depuis le rapport, les particules quantiques ont été engluées par le corona virus et le rapport est resté lettre morte. Le président Macron devait s’exprimer à ce sujet lors d’une visite à l’ENS à Saclay. Raté, il a préféré reporter son intervention à une date postérieure au confinement. « Pour l’instant, résume Christophe Jurczak, associé chez Quantonation, un fond d’inve…

France pouvait se targuer d’être à l’heure à la femtoseconde près. En janvier dernier, le gouvernement annonçait un grand plan quantique, doté d’un budget de 1,3 milliard, avec des grands groupes, des start up, des centres de recherches. On allait montrer de quoi la France était capable en rassemblant sous une même bannière les acteurs du quantique. Le rapport parlementaire de Paula Forteza rappelait l’impérieuse nécessité de prendre des risques pour trouver une place dans la 3ème révolution quantique qui se déroule sous nos yeux. Elle recommandait la création d’un fonds d’investissement doté de 300 à 500 millions d’euros pour faire émerger une cinquantaine de startup quantiques. Le rapport avait été accueilli avec enthousiasme par la communauté industrielle et scientifique.

Mais depuis le rapport, les particules quantiques ont été engluées par le corona virus et le rapport est resté lettre morte. Le président Macron devait s’exprimer à ce sujet lors d’une visite à l’ENS à Saclay. Raté, il a préféré reporter son intervention à une date postérieure au confinement. « Pour l’instant, résume Christophe Jurczak, associé chez Quantonation, un fond d’investissement pour les startup quantique, le rapport n’a débouché sur rien. » Le quantum computing à la française est resté dans les limbes. « La France a des atouts incroyables, poursuit-il, mais si nous continuons à attendre, nous allons être distancés. La Finlande a annoncé l’achat d’un ordinateur quantique pour 20 millions d’euros. Pendant ce temps-là, nous ne faisons rien. » Un cas isolé ? Que nenni ! « Le Royaume Uni est en avance, martèle-t-il, le Canada est très ambitieux, l’Allemagne se mobilise, la Russie a créé un centre à Skolkovo, les Pays-Bas et l’Italie ont également des projets. Nous sommes le seul pays qui n’a pas de plan. »

La France un nain dans les investissements mondiaux ?

Même son de cloche chez France Digital, une association qui regroupe les professionnels du numérique. Selon une étude confiée à Wavestone publiée le 16 novembre, les investissements mondiaux pour se doter d’une filière quantique sont très importants. La Chine est le numéro 1 avec 10 milliards de dollars investi dans un centre de recherche de 37 hectares. Les Etats-Unis investissent 2 milliards sur 5 ans, l’Allemagne a ajouté 2 milliards au 650 millions du plan d’investissement sur 5 ans de 2018 et le Japon consacre un peu plus de 270 millions de dollars sur dix ans. La France est très en retard. « Il y a un sous-investissements des grands groupes industriels, pointent Nicolas Brien, directeur général de France Digital, les grands groupes de télécommunications sont mobilisés sur la 5G et ne font rien pour le quantique. A titre de comparaison, Deutsch Telekom est en train de développer un réseau de communication quantique pour le gouvernement allemand. Nous ne faisons rien. Faut-il investir des milliards dans des avions de chasse du futur qui n’incluent aucune dimension de communication quantique ? On pourrait se retrouver avec des systèmes de défense bon pour la casse quand ils sortiront car toutes les communications seraient déchiffrables avec un ordinateur quantique. C’est absurde et dangereux ! » Cette absence politique n’empêche pas certains groupes industriels et les startup de bouger. Mais pour mobiliser le petit monde du quantique aimerait disposer d’un lieu et de ressources et d’équipements de très haut niveau avec un accès mutualisé.

La région Ile de France veut être leader du quantique

Les politiques se seraient-ils désintéressés du domaine ? Pas vraiment. Valérie Pécresse,présidente de l’Ile de France, a déclaré le 18 novembre qu’elle souhaitait faire de la région le leader mondial du quantique. Un programme pour le moins ambitieux qui commence par la création d’un réseau de communication quantique entre Saclay, Châtillon et Paris. Baptisé « Quantum communication infrastructure » Valérie Pécresse espère transformer l’essai et en faire la pierre angulaire d’un projet européen, le « European quantum communication infrastructure ». La région souhaite en outre mettre en place le pack quantique IDF doté d’un budget ? 1,6 millions d’euros sur trois ans. Outre le QCI, le pack comprend la création d’un accélérateur quantique fondé sur des nanotubes de carbone. « Ce projet c’est dix ans de recherche à l’ENS-PSL, explique Valérie Pécresse, il pourrait structurer l’émergence d’une électronique quantique en Ile de France. »

Une machine hybride

L’ordinateur quantique universel n’est pas encore au point. Mais on peut déjà disposer d’accélérateurs quantiques, qui sont un peu comme des cartes graphiques dans un ordinateurs classiques. Elles sont spécialisées dans une tâche particulière et accélère le traitement. « La notion d’hybride est fondamentale, souligne Christophe Juzczak, pour les nouveaux problèmes que nous aurons à traiter, une partie du calcul sera traitée par une machine classique et une autre passera par du quantique. Petit à petit nous allons migrer vers l’ordinateur quantique, mais cela ne va pas se faire d’un seul coup. » Les premières applications sont déjà là. Les accélérateurs quantiques peuvent être utilisés pour résoudre des problèmes de chimie ou de physique, pour la finance, la détection des fraudes sur les cartes bancaires par exemple, ou pour l’optimisation, ce que les spécialistes appellent la recherche opérationnelle ou la théorie des graphes. Microsoft, Amazon et IBM propose déjà du temps de calcul quantique. Le prix est élevé mais acceptable par rapport au temps de calcul d’un superordinateur (HPC en anglais).

Zéro absolu

La guerre des annonces auxquels se livrent quelques grands acteurs comme Google, IBM, Microsoft ou Intel, ne reflète pas exactement ce qui se passe dans les laboratoires. Ces grands groupes annoncent régulièrement avoir une machine avec quelques qubits de plus que la concurrence. C’est évidemment spectaculaire : si une machine atteint 100 qubits, cela signifie qu’il pourrait réaliser 10 puissance 30 opérations en quelques fractions de secondes. Mais il est très difficile d’ajouter des qubits et de les garder tous en même temps dans un état d’intrication. De plus, pour maintenir les particules dans un état d’intrication, il faut les conserver à une température proche du zéro absolu, -273° C. « En fait, corrige Christophe Jurczak, nous avons en France une startup comme Pasqal qui a développé un ordinateur quantique sans réfrigérateur. Les atomes sont immobilisés avec un rayon laser, ce qui les refroidit et évite de les mettre dans un caisson réfrigéré. »

Un atout de souveraineté

L’étude de France Digital affirme que l’ordinateur quantique est une arme technologique majeure qui permettra de casser le chiffrement des communications. En clair, les données chiffrées n’auront plus de secrets pour l’État ou l’organisation disposant d’un ordinateur quantique. Il est donc urgent de conserver sa souveraineté en investissant dans l’ordinateur du futur et dans des algorithmes de chiffrement post quantiques. Toutefois, il semble prématuré d’affirmer qu’un tel ordinateur sera capable de casser un code secret dans un futur très proche. Les estimations varient considérablement mais il faudra attendre au moins dix ans avant de voir arriver une machine universelle.

La France lance sa plateforme nationale de calcul quantique

Bien décidée à devenir l’un des leaders de la technologie quantique, la France a lancé le coup d’envoi d’un ambitieux plan quinquennal présenté l’année dernière par Emmanuel Macron.

Introduction

La France va renforcer sa présence sur les technologies quantiques. La ministre des Armées Florence Parly, la ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal, ainsi que le secrétaire d’État chargé de la Transition Numérique et des Communications Électroniques Cédric O, ont conjointement confirmé le lancement d’un plan quinquennal de 1,8 milliard d’euros sur cinq ans, à l’occasion d’un colloque organisé la semaine dernière. Une annonce qui confirme l’objectif promis l’année dernière par Emmanuel Macron, de faire de la France le leader mondial du secteur quantique.

Avec la mise en place de cette plateforme, l’objectif du gouvernement est désormais de créer des hybrides entre machines quantiques et supercalculateur classique. La fusion de ces derniers permettra de décupler les puissances de calculs pour réaliser des opérations plus complexes, plus rapidement. Selon le gouvernement, la première machine du genre verra le jour d’ici l’année 2023. Elle sera hébergée au Très Grand Centre de Calcul (TGCC) implanté au CEA DAM (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables) de Bruyères-le-Châtel en Île-de-France. Soutenu par l’INRIA (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), le projet devrait donner naissance à l’un des plus importants centres de calcul européens.

Expérimenter le quantique de demain

Avec son projet quantique, Emmanuel Macron veut faire de la France l’un des leaders européens et mondiaux dans un domaine encore balbutiant. Plusieurs machines pourront d’ailleurs être testées via la plateforme officialisée cette semaine, toujours avec l’objectif de rendre les calculs numériques “jusqu’à 1 milliard de fois plus vite qu’une technologie de calcul classique, y compris avec les technologies de supercalculateurs actuels, ce qui ouvre la voie à la résolution d’une série de problèmes actuellement non solubles dans un temps humain”, détaille le cabinet de Cédric O.

Pour rappel, et de manière très simplifiée, les calculs actuels fonctionnent actuellement sur une base de bits élémentaires, capables de se trouver dans deux états distincts : 1 ou 0. Avec la physique quantique, les opérations sont cette fois basées sur des qubits, qui pourront adopter plusieurs états à la fois. C’est cette superposition d’états, et donc de possibilités, qui devrait permettre une puissance de calcul démultipliée. Appliquée à des cas concrets, la technologie quantique permettra de développer des algorithmes aux possibilités inédites.

 

Investir massivement dans la quantique est un enjeu de souveraineté et de sécurité

Article de Mme

Pandémie et deuxième confinement obligent, la France a une nouvelle fois différé la présentation de sa stratégie nationale sur le quantique, érigée parmi les priorités technologiques dans le plan de relance. Il y a pourtant urgence à se pencher sur les enjeux de souveraineté posés par l’informatique quantique, notamment en matière de cybersécurité, rappelle une étude présentée lundi par l’association France Digitale dans le cadre de l’événement France is AI. Par ses principes (qui se fondent sur des propriétés physiques de la matière et non sur des mathématiques) et le saut de puissance de calcul qu’ils induisent, l’informatique quantique n’est pas une simple évolution technologique mais un réel changement de paradigme, qui va bouleverser de nombreux domaines comme la communication, la navigation sur Internet… et la cybersécurité.

La menace de l’ordinateur quantique rend caducs même les plus sophistiqués standards de cryptographie actuels. Or si la réalité d’un tel ordinateur n’est pas attendue avant 2030, en raison de nombreux obstacles à dépasser, «nombre de services et de programmes, notamment militaires, sont construits sur des horizons de 20 à 30 ans. À cette échelle, l’ordinateur quantique, c’est demain», rappelle Nicolas Brien, CEO de France Digitale, qui a commandé l’étude au cabinet Wavestone. «Les investissements seront lourds pour permettre les migrations techniques nécessaires» notent les auteurs.

La France a plusieurs atouts dans le domaine, mais pas encore de stratégie nationale, à la différence de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, qui s’en sont dotées beaucoup plus tôt. «Nous lançons un appel au gouvernement à s’intéresser rapidement et massivement au sujet» insiste Nicolas Brien. Parmi les atouts français, un excellent niveau de recherche, à l’image des centres de Paris-Saclay ou de Grenoble. La France compte 13 start-up spécialisées dans le quantique comme Alice&Bob, Cryptonext ou Pasqal, ce qui représente un quart du vivier en Europe. «Nous n’en avons pas assez et elles ne sont pas financées au même niveau que des pays comme la Suisse ou le Canada» fait remarquer Nicolas Brien. Par ailleurs, «nos opérateurs télécoms ne se sont pas encore emparés pleinement du sujet.» souligne France Digitale, notamment sur une technologie de communication baptisée Quantum Key distribution (QKD). Cette technologie permet à deux parties d’échanger des clés de chiffrement tout en détectant, grâce aux propriétés quantiques, la potentielle interception de la communication par un adversaire. «Ils sont focalisés sur la 5G, mais il ne faut pas oublier le quantique. En Allemagne, l’opérateur Deutsche Telekom avance sur ce thème».

Une agence européenne du quantique

Autre sujet d’attention pour les auteurs de l’étude : les talents. «Non seulement nous devons mieux payer nos chercheurs pour pouvoir les retenir, mais c’est toute une filière de formation qu’il faut créer. Le quantique ne nécessite pas seulement des ingénieurs spécialisés en physique quantique, il faut des spécialistes en cryogénie, en thermodynamie, en cablage, etc…» insiste Nicolas Brien.

Pendant ce temps, les États-Unis et la Chine investissent plusieurs milliards de dollars sur ce sujet et s’intéressent de près au savoir faire européen. Microsoft a implanté plusieurs «quantum labs» en Europe. «Il faut se doter d’une stratégie quantique au niveau européen» estime France Digitale. Il existe l’initiative Quantum flagship, pour financer des projets de recherche internationaux sur les technologies quantiques, mais les volumes d’investissements ne sont pas les bons : un milliard d’euros sur dix ans, c’est deux fois moins que les États-Unis sur cinq ans!» rappelle Nicolas Brien, qui plaide pour une agence européenne de recherche quantique sur le modèle du CERN pour la recherche nucléaire. L’association plaide aussi pour un «start-up visa européen» permettant d’attirer sur le Vieux Continent des talents étrangers.

«C’est aussi un appel aux grandes entreprises privées de prendre part à la recherche et développement en collaboration avec des laboratoires de recherche et des start-up, et de participer au financement de ces dernières» ajoutent Nicolas Brien et Gérôme Billois, associé du cabinet Wavestone.

Texte source : Investir massivement dans la quantique est un enjeu de souveraineté et de sécurité
Publié sur Le Figaro Tech & Web par Ingrid Vergara le 16 novembre 2020